L'AVC ? C'est quoi ?

La cryoneurolyse dans le traitement de la spasticité

Il n’est pas rare d’entendre ce mot, « spasticité » *, dès lors qu’on est confronté à une maladie neurologique : tumeur, atteinte de la moëlle épinière, sclérose en plaques, paralysie cérébrale, et AVC, entre autres. Elle est généralement provoquée par des dommages du système nerveux central dédié au mouvement (… mais pas que…). Elle se définit comme une raideur musculaire involontaire qui empêche partiellement ou totalement le mouvement de différentes parties du corps. Très, très handicapante, douloureuse parfois, la spasticité ne se guérit pas, mais se traite. Alors, imaginez l’effet de ce titre de Ouest-France : « la cryoneurolyse, ce traitement révolutionnaire testé au CHU de Rennes« . Une vraie bombe ! Et article agrémenté d’une vidéo, s’il vous plaît ! Cliquez ci-dessous pour la voir :

https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/video-la-cryoneurolyse-ce-traitement-revolutionnaire-teste-au-chu-de-rennes-ad312939-53b8-4a68-bbc2-71fa3355cd33

Vous avez regardé cette vidéo … ? Elle donne de l’espoir, certes, mais elle m’a laissé tout de même un peu sur ma faim. Heureusement, le Docteur Guignans, médecin MPR (Médecine Physique et de Réadaption) au CHU de Rennes a pris le temps non seulement de répondre à mes questions, mais aussi de revoir ma copie. Merci infiniment, docteur !

Pourquoi le CHU de Rennes a été choisi spécialement pour faire cette démonstration ?

« Il y a eu le congrès de la Sofmer (Société française de Médecine Physique et de Réadaption) à Rennes cette année », raconte le docteur Guignans. « On était en charge d’inviter des représentants dans chaque domaine de MPR. J’étais en charge de la neuro-orthopédie et je souhaitais que ce soit le docteur Winston, médecin MPR qui vienne présenter. On lui a demandé, puisqu’il était à Rennes, de voir quelques patients avec lui. Le professeur Bonan, le docteur Butet et moi sommes à l’origine de sa venue. « 

Genèse de la cryoneurolyse dans le traitement de la spasticité

Le docteur Guignans revient sur la genèse de la cryoneurolyse. « La neurolyse est utilisée dans le traitement des douleurs neuropathiques **, c’est-à-dire des douleurs liées à un mauvais fonctionnement ou une lésion du système nerveux. La neurolyse consiste à altérer certains nerfs pour qu’ils ne « déchargent » pas (NB : les douleurs neuropathiques comprennent des troubles variés, notamment des sensations de décharges électriques.) Pas de « décharges » donc, pas de douleurs. »

Le préfixe « cryo » vient du grec ancien et signifie « froid ». Donc la cryoneurolyse est l’altération de certains nerfs par le froid.

« Le docteur Paul Watson discute avec un anesthésiste de cette technique », continue le docteur Guignans, « et ils décident de l’essayer cette fois sur des patients atteints de spasticité. C’est nouveau…et ça marche ! »

Comment fonctionne la cryoneurolyse ?

Comme le docteur Winston l’a expliqué dans la vidéo, le principe de la cryoneurolyse est d‘appliquer un froid intense à l’aide du contact de l’azote à -88 °C dans le nerf d’un muscle spastique pour l’empêcher de conduire l’influx nerveux complètement…dans le nerf, pas dans le muscle, contrairement à la toxine botulique. Là, ça commence à se corser dans mon esprit…

Bon, j’ai complètement oublié mes cours de biologie du collège et du lycée (… sauf la dissection de la grenouille), je suis obligée de faire un p’tit saut sur le site Lumni, pour bien comprendre le rapport entre nerf et muscle (oui, oui , je reviens de loin…) 🤔.

En résumé, les nerfs moteurs transmettent les commandes du système nerveux central aux muscles afin de produire des mouvements volontaires ou involontaires.

Avantages & Inconvénients de la cryoneurolyse

Quels sont les différents traitements de la spasticité ?

Il y a plusieurs manières de s’attaquer à la spasticité. En ordre croissant :

  • la kinésithérapie et les étirements (ou physiothérapie, terme plus utilisé en anglais)
  • l’injection de toxines. Elle permet le relâchement d’un muscle hypertonique pendant une durée transitoire.
  • la phénolisation ou l’alcoolisation de certains nerfs, mais impraticable sur un nerf sensitif.
  • la cryoneurolyse du/des nerfs, y compris sensitif(s)
  • la neurotomie (chirurgie)

(… et n’oublions pas l’auto-rééducation quotidienne, à la maison, seule … mais je suis très mal placée pour en parler.)

Comparatifs entre les traitements de la spasticité

Cryoneurolye, Toxines, Chirurgie, comment choisir ?

« En fait, cela dépend beaucoup du patient et de ses capacités. On toxine généralement les muscles lorsqu’on souhaite un geste réversible, l’efficacité étant de quelques mois, ou si l’on souhaite garder de la commande, explique le docteur Guignans. (NB: on entend par « commande », commande volontaire des mouvements par le cerveau.). Si l’on toxine un muscle comme un quatriceps qui nous permet de nous tenir debout, on va perdre un peu de force mais on ne va pas tout perdre non plus. Il y a des sportifs qui sont toxinés dans certains muscles parce qu’ils sont douloureux ; ils peuvent continuer à faire du sport. L’avantage de la toxine est son effet réversible, mais c’est aussi son inconvénient.

En revanche, faire une cryoneurolyse, c’est un geste définitif qui touche au nerf, on ne va pas enlever 100% du tonus, mais il y a plus de chance qu’on fasse perdre beaucoup de force au patient, ce qui peut être gênant sur des muscles actifs et utiles. On ne maîtrise pas totalement le degré d’altération du nerf, bien que l’on puisse réaliser le geste en plusieurs étapes pour altérer le nerf progressivement. Si l’on souhaite conserver de la force, en faisant un geste définitif, on pratiquera plutôt une neurotomie parce qu’on peut décider le pourcentage de section du nerf. On peut moins l’apprécier avec la cryoneurolyse.

Le choix entre toutes ces techniques de prise en charge de la spasticité se fera au cas par cas : il faut faire une évaluation précise des atteintes et des capacités motrices du patient. Nous utilisons généralement les blocs moteurs sélectifs des muscles (anesthésie des nerfs qui innervent le muscle) en mimant l’effet d’une disparition de la spasticité mais aussi de la force du muscle. Les blocs moteurs vont permettre de décider parmi ces techniques celle qui est la plus adaptée au patient.

« Les toxines botuliques et la cryoneurolyse, c’est le même objectif local, explique le docteur Guignans . La cryoneurolyse empêche le nerf de conduire son influx nerveux au muscle. C’est un peu comme si, dans une maison, pour couper l’électricité, on débranche le générateur (nerf) plutôt que d’enlever chaque ampoule (muscles). »

« Un muscle cryoneurolysé n’a plus besoin de toxines. Les doses de toxines économisées pourront être réutilisées, comme on fait avec la chirurgie actuellement. »

En injectant des toxines dans le muscle spastique, on espère que le muscle antagoniste, plus faible, retrouvera une certaine mobilité. Est-ce vrai aussi pour la cryoneurolyse ?

« C’est vrai que parfois nous réalisons des injections de toxine pour permettre au muscle antagoniste de s’exprimer. C’est l’examen du patient qui permet d’espérer que le muscle antagoniste limité par le muscle spastique pourra s’exprimer une fois la spasticité diminuée. En pratiquant la cryoneurolyse, on peut en effet obtenir cet effet si le muscle antagoniste a de la force, mais on ne peut pas redonner de la force au muscle. On peut seulement diminuer la force du muscle qui a l’action opposée.

On part du principe qu’il y a des muscles très toniques qui empêchent parfois les muscles antagonistes de s’exprimer. On prend l’exemple d’un biceps et d’un triceps, si le biceps est très, très tonique, et le triceps faible, même si l’on a de l’action sur le triceps, on n’arrivera pas à avoir le mouvement qu’on veut parce qu’on aura toujours un biceps qui est fort. En diminuant le tonus de ce biceps, mécaniquement, la force à générer par le triceps est moindre pour étendre le bras. Cependant, il faut quand même qu’il y ait de la commande sur le triceps, et beaucoup de patients qui n’ont pas forcément de commande. Ni les toxines, ni la cryoneurolyse ne redonnent de commande. Ces différentes techniques permettent parfois de faire réapparaître de la commande chez des patients qui en ont mais qui est inhibée par les muscles trop forts de l’autre côté.« 

C’est la surprise … ?

« C’est la surprise, parfois, comme chez la patiente dans la vidéo, mais on arrive à l’évaluer avant un geste définitif en faisant des blocs moteurs des nerfs que l’on souhaite cryoneurolyser (ou opérer). On anesthésie les muscles pendant quelques heures, pour savoir justement justement ce qui se passe sur les muscles opposés et prédire l’effet du geste. On fait le bloc moteur pour « mimer » ce que la cryoneurolyse va donner. Ainsi, on peut prédire le résultat de la cryoneurolyse. »

Tous les membres peuvent-ils être cryoneurolysés ?

« A priori oui ! C’est la grande différence avec la phénolisation. La cryoneurolyse est pratiquée uniquement par le docteur Paul Winston en ce qui concerne la prise en charge de la spasticité. Selon le docteur Winston, la cryoneurolyse est praticable sur tous les nerfs, y compris les nerfs qui ont des rameaux sensitifs lorsque les patients ont déjà des troubles de la sensibilité. C’est là aussi l’intérêt du bloc moteur : cela permet de savoir s’il y a une modification de la sensibilité suite à l’anesthésie du nerf. Si cela a modifié la sensibilité, on ne fera pas de cryoneurolyse car les troubles de la sensibilité induits peuvent gêner le patient. En revanche, si le bloc ne change rien, on pourra faire la cryoneurolyse puisque le patient a déjà un manque de sensibilité.

Quels sont les patients qui peuvent être éligibles ?

« Il s’agit de tous les patients qui ont une hypertonie musculaire liée à une atteinte nerveuse centrale (cerveau ou moelle épinière). Les patients ne doivent pas avoir de rétractation des muscles, bien répondre aux injections de toxines botuliques parce que la cryoneurolyse agit sur le nerf mais pas sur la longueur du muscle. Elle lève l’hypertonie du muscle comme la toxine botulique, ce qui permet plus d’amplitude du mouvement, plus de souplesse. Cela peut être par exemple, des patients qui sont déjà traités par toxine botulique et qui ont une bonne efficacité de ces injections. »

« La cryoneurolyse a quand même vocation, au moins dans un premier temps, à être destiné à des patients qui ont des restrictions de commandes, moins à des patients qui ont des objectifs fonctionnels, qui ont des déficits légers ou modérés, dans un premier temps, en tout cas. »

« Il faut plutôt la concevoir comme étant définitive. Il faut que les décisions soient bien mesurées. »

Dans la vidéo de l’Ouest-France, la patiente attrape une petite bouteille dans sa main paralysée. Elle n’a pas de commande donc, c’est encore sa spasticité qui lui permet de tenir la bouteille ?

« Oui, c’est ça, mais il y a aussi un peu de commande, je l’ai revue récemment et elle arrivait à serrer un peu les doigts à la demande. Il lui reste un peu de spasticité, un peu d’hypertonie sur certains muscles aussi, ce qui augmente sa force. Elle a une très bonne ouverture des doigts passive et de la main. L’objectif pour cette patiente, c’était de pouvoir lui laisser un accès à l’intérieur de sa main pour qu’elle puisse en assurer l’hygiène. Après, il n’y avait pas vraiment d’objectifs fonctionnels donc le fait qu’elle puisse serrer un peu ses doigts c’est du bonus. »

Quels sont les avantages de la cryoneurolyse par rapport à la chirurgie ?

« Elle est beaucoup moins « invasive » que la chirurgie et n’aura pas ses inconvénients: pas de risques anesthésiques, pas de risques infectieux ou hémorragiques, même si ceux ci sont très faibles pour les gestes chirurgicaux sur les nerfs. Elle peut se faire dans une salle de consultation, dans le service de MPR, c’est donc très pratique. On peut se passer d’une consultation d’anesthésie et d’un bloc opératoire. Cela veut dire que le geste peut être réalisé dans un service connu du patient, par le médecin MPR qui suit le patient. C’est plutôt rassurant pour le patient. ». »

Quand va-t-on pouvoir bénéficier de ce nouveau traitement à Rennes …et en France ?

Le docteur Paul Winston est Canadien…et ça fait toute la différence parce-que le cadre juridique n’est pas le même qu’en France. En France, il faut absolument qu’il y ait une publication scientifique ou des articles scientifiques avant que ce nouveau traitement soit proposé aux patients. La publication scientifique désigne les travaux publiés par les chercheurs dans les revues scientifiques. Rédiger un article scientifique permet au chercheur de partager ses travaux et résultats avec ses pairs et d’autres experts dans son domaine.

« L’idéal, ce serait que le docteur Winston publie, explique le docteur Guignans, ou que ce soit encadré par un projet de recherche. »

Mais alors, combien de temps prend une publication scientifique … ?

« Il faut la soumettre, il faut qu’elle soit relue par un comité de lecture indépendant constitué de pairs qui vérifie la qualité de l’étude. Après, généralement, il y a une correction et il faut à nouveau la soumettre. Cela prend plusieurs mois, et pour l’instant, à ma connaissance, le docteur Winston n’a pas encore soumis son article, souligne le docteur Guignans. »

Et le projet de recherche…?

« Il y a un médecin français qui devrait aller faire une année d’études au Canada pour travailler sur la cryoneurolyse, et débuter une étude en France dès son retour avec les différents centres qui seront prêts à y participer. Le projet de recherche devrait donc voir le jour d’ici quelques années.« 

« On est en train de discuter entre nous (au CHU de Rennes) des modalités pour proposer ce type de traitement aux patients si le docteur Winston ne publie pas et si le protocole de recherche n’arrive que dans quelques années. Il faut qu’on ait des discussions avec le service biomédical, la pharmacovigilance. Il faut que sur le plan scientifique les choses soient bien cadrées. Pour les deux patients qui ont bénéficié de la cryoneurolyse à Rennes, nous leurs avons fait signer un formulaire dans lequel nous évoquons les effets secondaires éventuels. Le geste a été possible car il était réalisé par le docteur Winston.»

Avez-vous déjà été formé à la cryoneurolyse ?

« La technique est sensiblement la même que lorsque l’on fait des blocs moteurs, donc nous maitrisons déjà la technique. C’est le matériel qui change et ce n’est pas un matériel très compliqué à utiliser.  Nous avons pu pratiquer sous la supervision du docteur Winston. »

« Nous avons discuté avec la société qui vend l’appareil de cryoneurolyse. Elle sait qu’il y a tout un marché qui va s’ouvrir. Les industriels sont en train de demander les marquages européens pour la commercialiser. Notre équipe est dans les startings-blocks pour investir dans cette technique.  L’idéal, ce serait que le docteur Winston publie pour que l’on puisse utiliser cette technique, sinon participer à un protocole de recherche une fois qu’on aura l’équipement. 

Donc…

« On n’est pas très loin ! Difficile de vous donner un laps de temps précis, ce ne sera pas dans 10 ans, ce sera avant. Il y a beaucoup de centres de rééducation qui sont prêts : Montpellier je crois, Garches qui s’est formé en même temps que nous et le docteur Winston a des liens avec la Belgique qui elle aussi est avancée en terme de MRP. Une fois qu’il va y avoir un déclic au niveau de la pharmacovigilance ***, on pourra avancer assez vite. »

La cryoneurolyse ouvre une perspective au traitement de la spasticité en se plaçant entre l’injection de toxines botuliques et la chirurgie. Les médecins français de Médecine Physique et de Réadaption, motivés, sont d’ors et déjà formés à cette nouvelle technique, les industriels ont déjà commencé leurs démarches administratives auprès de l’Union européenne. Mais le docteur Winston, seul, pratique la cryoneurolyse. Publication ou projet recherche manquent l’appel pour l’enclencher le processus de validation par les autorités françaises. « On n’est pas très loin », pour reprendre les mots du docteur Guignans, alors, please, Docteur Winston, les patients français attendent vos publications !

* Si vous vous en savoir plus sur la spasticité, cliquez ! C’est le dico d’une maman dont le fils est hémiplégique et atteint de spasticité. Elle définit et détaille de manière claire la spasticité et son impact dans la vie quotidienne.

** Douleur neuropathique se dit d’une douleur liée à un mauvais fonctionnement ou une lésion du système nerveux. Le système nerveux ne joue plus son rôle normalement : il déclenche de manière anarchique des douleurs neuropathiques, d’intensité variable, qui peuvent être permanentes ou survenir sous forme de crises soudaines.

*** La pharmacovigilance a pour objet la surveillance des médicaments et la prévention du risque d’effet indésirable résultant de leur utilisation, que ce risque soit potentiel ou avéré. Elle constitue une garantie qui s’exerce tout au long de la vie d’un médicament. (https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/medicaments/la-surveillance-des-medicaments/article/la-pharmacovigilance)

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